16 novembre 2006

Le pot-pourri de Federico Fellini

“II m’est indifférent de commencer d’un côté ou de l’autre; car en tout cas, je reviendrai sur mes pas.” Parménide
“Le monde antique, me disais-je, n’a jamais existé, mais indubitablement nous l’avons rêvé” Federico Fellini


fresque de Pompéï,musée de Naples, photographie de Dalbera


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Yves Bonnefoy évoque, dans le recueil L’Improbable, la ville de Ravenne, en Italie. Ses souvenirs, cependant, se démarquent des habituels clichés touristiques et s’écartent des éternelles mosaïques colorées. Sa fascination porte sur les monuments, car, dit-il “Les monuments de Ravenne sont des tombeaux”. Point de fascination morbide néanmoins, mais plutôt une certaine “allégresse”, une joie incongrue. Le poète s’étonne, comme surpris lui-même de ses propres sentiments, face à ces antiques cénotaphes. La source de cette joie ne trouve-t-elle pas sa source dans les ornements qui recouvrent ces tombeaux vides ? En effet, l’ornementation gravée révèle, en quelque sorte la pierre. La pierre nue, sans traces de l’intervention humaine, n’aurait-elle pas échappée à notre attention sans cet index pointée sur elle ?
Cette traversée de Ravenne, propice aux égarements, tant réels que poétiques, pousse Yves Bonnefoy à s’interroger et à interroger cette singulière expérience : “[…]. Je découvrais dans Ravenne l’affleurement d’un autre règne.
Pourquoi des lignes sont-elles belles ? Pourquoi la vue d’une pierre apaise-t-elle le cœur ? À peine si le concept parvient à formuler ces questions qui sont les plus importantes. Il n’y a jamais répondu”
: telle est, sans doute, la vertu de ces ruines : amorcer ou poursuivre ce dialogue avec le sensible, creuser le doute autour du concept mais surtout éveiller le sentiment poétique …

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Sur la Via Appia, photographie de iessi


Autre époque, autres circonstances. 1969, année érotique comme la désignait avec malice Serge Gainsbourg fut, entre autre, le théâtre de la naissance d’une toute autre œuvre, non moins dépourvue de sensualité, l’adaptation cinématographique de Satyricon par Federico Fellini. Autre ruine pourrait-on dire si l’on considère le texte du Satyricon qui regroupe en réalité un ensemble de fragments dont les lacunes sont légions. Non seulement, les manques sont considérables et les bribes difficiles à authentifier, mais encore l’auteur même de ce texte demeure méconnu et des doutes persistent même sur son identification exacte. C’est précisément ces spécificités, qui finalement retiennent l’attention de Fellini : “[…] j’avais relu Pétrone et j’avais été fort séduit par un détail que je n’avais pas su remarquer auparavant : les parties qui manquent, donc l’obscurité entre un épisode et un autre.”
En réalité, Fellini n’attachait pas grande importance à ce projet, à l’origine. Cette proposition, parmi d’autres, n’était qu’une promesse faite aux producteurs, mais destinée à demeurer vaine, sorte de monnaies d’échange, en quelque sorte. Un incident de parcours vint en décider autrement. Une convalescence un peu longue permet à Fellini la redécouverte du texte lu sur les banc du lycée, encore adolescent. “Le livre me fait penser aux colonnes, aux têtes, aux yeux qui manquent, aux nez brisés, à toute la scénographie nécrologique de l’Appia Antica, voir en général aux musées archéologiques.” La curiosité aidant, rien d’étonnant à ce que Fellini se plonge avec délices dans l’univers “baroque” de la Rome décadente et investisse ces zones d’ombres et de mystère. Il s’y place en maître de marionnettes, retrouvant là ses jeux d’enfant, lorsqu’il proposait à ses petits camarades des spectacles de marionnettes de son invention, déplaçant ses différents ingrédients : acteurs, décors et textes, pour un spectacle inédit.




L’histoire antique est pour ainsi dire “redécouverte”, non pas au travers de la reconstitution d’une fresque historique, mais aux travers des filtres tendus par Fellini : la Rome décadente décrite ou entrevue au travers des bribes de Pétrone, eux-même revisités par l’imagination du réalisateur. Fellini propose là une singulière méthode pour appréhender le passé. La connaissances de ces périodes lointaines ne sont-elles pas toujours, en effet, à réinventer puisque certains aspects resteront sans doute éternellement obscurs ? L’artiste n’est-il pas celui qui infiltre ces zones de mystères pour faire parler ce passé pour lequel la science s’est révélée inadaptée ? Tout comme ces inscriptions étrusques dont la signification semble désormais interdite alors que la connaissance de l’alphabet étrusque, s’est quant à elle perpétuée jusqu’à aujourd’hui. Et n’est-ce pas là, encore, le message sous-jacent contenu dans l’œuvre de Poussin Et in arcadia ego ? “Et in arcadia ego”, des mots qui auraient pu être prononcés par l’un ou l’autre des deux protagonistes du film Satyricon…


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La réponse de l’art ne consiste pas à venir combler ces vides ou à forger d’hypothétiques chaînons manquants. Fellini le confirme non seulement dans sa pratique cinématographique mais aussi au cours des interviews données à l’occasion du tournage de Satyricon : “Des fragments épars, des lambeaux qui surgissaient de ce qui pouvait bien être tenu aussi pour un songe, en grande partie remué et oublié. Non point une époque historique, qu’il est possible de reconstituer philologiquement d’après des documents, qui est attestée de manière positive, mais une galaxie onirique, plongée dans l’obscurité, au milieu de l’étincellement d’éclats flottants qui sont parvenus jusqu’à nous.” Finalement ce travail, ce retour sur l’antique, Fellini le nomme rêve, ou songe. Son rêve se traduit sur l’écran par des décors extravagants dans lesquels évoluent des personnages non moins extraordinaires : “Le monde antique, me disais-je, n’a jamais existé, mais indubitablement, nous l’avons rêvé. Notre effort devrait consister à annuler la frontière entre rêve et imagination, à tout inventer et objectiver ensuite cette opération fantastique, à nous en détacher afin de pouvoir l’explorer comme quelque chose qui serait à la fois intact et méconnaissable”. Cette expérience, que Fellini considérait comme l’une de ses plus grandes réussite sur le plan visuel, pourrait être rapprochée de celle, plus récente, d’Éric Rohmer dans son film L’Anglaise et le Duc. Devant l’impossibilité économique et technique de reproduire différents quartiers de Paris pendant la Révolution de 1789, Rohmer utilise des panneaux peints sous sa direction sur lesquels il incrustre ensuite des acteurs réels. Il utilise ainsi des procédés hérités des expériences de Méliès et de la genèse du cinéma, réactualisés avec les techniques numériques actuelles. Le choix de Rohmer est particulièrement intéressant car il ne s’agit pas, pour lui non plus, de reconstituer l’époque révolutionnaire. Cependant, il s’attache aux détails, non dans un souci de réalisme, mais plutôt dans un souci d’authenticité historique. En effet, pour ces deux réalisateurs, l’important n’est pas d’être réalistes, Rohmer est même encore plus précis : “[…] la réalité photographique m’importe peu. Ici, je montre la Révolution comme la voyaient ceux qui l’ont vécue. Et je cherche à rendre les personnages plus proches de la réalité picturale.”. D’emblée, dans ces deux films, le spectateur est placé dans un cadre théâtral : lever de rideau, tableaux d’exposition, décors, etc. Il ne s’agit que de spectacles, tout y est ouvertement factice, mais après la représentation, comme après certains rêves, reste ce sentiment bizarre et troublant : “n’était-ce vraiment qu’un rêve ?”


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