17 mars 2006

À l’ombre de la jeune fille en fleur



Le film s’ouvre et se referme sur un portail en bois, devant un jardin. C’est à nouveau l’été. La saison s’achève déjà, et les vacanciers encore présents entendent profiter des derniers instants de vacances avant la rentrée. Ainsi, Marion récemment séparée de son mari amène sa jeune cousine Pauline à la mer, près de Granville. En allant se baigner, Marion retrouve Pierre son ancien petit-ami. Cette rencontre en amène une autre, Henri, ami de Pierre qui se glisse dans la conversation. Deux personnages viennent peu après se rajouter, une fille, Louisette, la vendeuse de bonbon et un garçon, Sylvain, du même âge que Pauline.
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Pauline à la plage est placé sous le signe de l’amour et du théâtre. Les personnages évoluent non pas sur une scène unique, mais sur de multiples petits théâtres. En effet, chaque lieu tend à devenir espace de représentation : la plage, le bal, le jardin de Marion avec ses hortensias (véritable théâtre de verdure), le salon de la villa d’Henri, la voiture… faut-il y voir un écho à la phrase de Valéry : “La scène est un lieu métaphysique comme l'autel, le Tribunal. Comme le Lit, la Table à manger, le Foyer. La civilisation commence à ces spécifications”? Enfin, le décor est planté, le rideau est levé, les drames peuvent se nouer. Rohmer évoque directement cette référence au théâtre : “De même que les Six Contes Moraux n’avaient de commun avec ceux de Marmontel que le titre, ces Comédies et Proverbes n’entendent s’inspirer ni de Musset, ni de Shakespeare, ni de Carmontelle, ni de la Comtesse de Ségur. Comme celui des Contes, leur titre sera légèrement abusif : la “comédie” y évitera de se plier aux lois du genre, et le “proverbe” sera parfois une invention de l’auteur ou une citation littéraire. […]. La grande différence avec le précédent est que ce nouvel ensemble ne se réfère plus, par les thèmes et les structures, au roman, mais au théâtre.” Bien que Rohmer refuse le parallèle avec Musset ou Marivaux et préfère la référence à Courteline, un rapprochement pourrait être fait avec la Commedia dell'arte, avec quiproquos, trahisons et mensonges, et personnages typiques (l’amoureux transi, Don Juan…), mais pourtant, nul véritable “méchant”, les jeux sont troubles et l’on ment beaucoup, à soi-même d'abord et aux autres. Seuls se détachent les adolescents Pauline et Sylvain.


Sylvain et Pauline ont seize ans, l’âge des possibles, l’âge de l’entre-deux : plus tout à fait enfant, mais pas encore adulte. Alors, que les “grands” voudraient s’ériger en garants de la morale, et jouer les chaperons, leur immaturité, leur lâcheté et leur hypocrisie prennent souvent le dessus. Les adolescents, eux, observent, ainsi Pauline, n’est pas dupe, c'est souvent elle qui en sait beaucoup plus long que ces aveugles d’adultes. Ce regard sans indulgence, Sylvain l’exerce aussi. Sans doute, le sensible Simon de La Brosse qui interprète ce personnage, avait-il gardé ce regard acide, lorsque quelques années plus tard, jeune encore, il s’est suicidé, déçu et blessé par notre monde. Pauline, découvre sa séduction, sa sensualité, et certains comme Henri n'y sont pas insensibles, mais Pauline n'est pas Lolita et a tôt fait de le remettre à sa place : “Ne sois pas hypocrite!” “Je ne comprends pas les hommes, les vieux surtout, ils ne font jamais rien franchement.”
Pauline à la plage c’est le jeu de la confusion des âges : des enfants emplis de sagesse, des gamins qui n’en sont pas, des enfants qui ont arrêté de grandir, des adultes impudiques et lâches, des adultes entêtés, des vieux pas si vieux et parfois vicieux… bien malin qui saura démêler l’écheveau des âges!
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En toile de fond, c’est une toute autre représentation qui se trame : Rohmer crée des tableaux en composant avec trois couleurs, le blanc, le bleu, et le rouge. Le tableau de Matisse La Blouse roumaine, qui décore l'une des chambres de la villa d'Henri, sert d’étalon. Malgré cette apparente rigueur, les symboliques traditionnelles apparaissent là encore contrariées et faussées: le rouge n’évoque plus la passion, pas plus que le blanc illustre la pureté, quant au bleu, mystère…
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Le film s’ouvre et se referme sur un même portail en bois, devant un jardin. Mais est-ce là le même bois, est-ce les mêmes plantes, les mêmes oiseaux qu’au début ? Même l’air semble avoir changé. Le dialogue qui précède le plan final en dit long. Marion, la plus âgée, tente de se rassurer, plus incertaine que jamais, Pauline, telle Zazie aurait pu lui répondre : ”j'ai vieillie”, cette maturité est quasiment palpable dans l’étroit espace de l’Austin mini. Mais Pauline après une légère moue acquiesce à la proposition de sa cousine, sans trop y croire (“Tout à fait d'accord.”). Finalement, nulle conclusion, Rohmer n’avait-il pas d’ailleurs prévenu : “Et l’on pourra, comme dans Les Fables de la Fontaine, trouver à la même pièce plusieurs moralités.”

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