27 décembre 2006

Dora : une montagne de barbarie

Il est des voyages, inoubliables, justement parce que leur destination n’est autre qu’un point de mémoire. Un point sur une carte qui tend à se matérialiser.


Le récit du récent voyage de Jacques Jouet et d’Olivier Salon aux confins de l’Allemagne, est exposé le jour même du solstice d’hiver, jour de l’année où la nuit est la plus longue ; singulier moment opportun. Sans doute, ce que nomment les grecs, le kairos : ce 21 décembre, avec son ciel bas et lourd, dont la pâle lumière, laissant à penser que le jour a finalement oublié de se lever, n’était-il pas, en effet, adéquat pour faire écho à cette nuit sans fin, à cette nuit artificielle, à ces nuits de brouillard qui enveloppèrent l’Europe au temps du nazisme ?



La poésie peut-elle quelque chose contre cet obsurantisme tissé serré par les nazis? Le poème de Jacques Jouet commémore la mémoire de ces hommes, dont François Le Lionnais fit malheureusement partie entre 1944 et 1945, ceux-là qui furent enfouis sous la montagne.

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La place d'appel du camp de Dora de nos jours


Dora, un nom aux douces sonorités féminines, un nom qui résonne, à présent, des plus lugubres peines. Peut-on concevoir ce qui se déroulait là-bas, sous la colline de Kohnstein, dans ces vastes tunnels ? De secrets affairements, dont il ne reste que des initiales, V1, V2, B1. Plus de 60 000 hommes participeront, de force, à ce mystérieux labeur, mais plus de la moitié ne revinrent pas, plus de la moitié ne revirent jamais la lumière du jour. Être au cœur de la montagne, privé d’eau mais sans un endroit au sec, privé de lumière, de chaleur, épuisé à la tâche, traqué par la maladie, tel fut le quotidien de l’“Enfer de Dora”. François Le Lionnais survécu malgré tout à ce terrible séjour, sans doute grâce à sa qualité de "disparate" comme il aimait à se qualifier lui-même.


Bruegel, La pie sur le gibet,
1568, huile sur bois

“Mon regard se porta machinalement sur la colline qui s’élevait du côté de l’infirmerie. L’automne y achevait son établissement. Alors ces grands arbres dépouillés fondirent sur moi sans crier gare et m’emportèrent avec eux. L’Enfer de Dora se métamorphosa subitement en un Bruegel dont je devins l’hôte.”
C’est ainsi que Le Lionnais décrit dans son émouvant texte “La peinture à Dora”, comment son immense curiosité et son amour du savoir fut réveillée un jour, sur la place d’appel du camp de Dora, et le sauva ; sa résistance à l’ennemi, se fit donc par le biais de la culture et des différentes humanités, des mathématiques à la philosophie sans oublier les arts, en faisant ainsi obstacle à l’emprise de la barbarie.

Jacques Jouet au travers de sa récente confrontation avec cette terre allemande, parvient à faire transpirer une émotion contemporaine pour ces “remplaçables”, comme les nommaient leurs bourreaux.
Sous la colline de Kohnstein, âmes des morts reposez en paix, c’est dans un poème, dans un tableau de Bosh ou de Bruegel, que vous re-vivez encore aujourd’hui, sans crainte de l’oubli.

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